Bénédicte de Foucaud a créé près du Mans un conservatoire de 2 326 variétés de pivoines qu’elle ouvre au public jusqu’au 9 juin. Exceptionnel!

‘Magnolia Flower’, ’Hélène Martin’, ‘Shimazukurenaï’, ‘Lan He’, ‘Bataille de la Marne’, ‘Niigala Ten’hyonomaï’ (Danse céleste, en japonais)… Bénédicte de Foucaud connaît toutes ses protégées par leur nom, si imprononçable soit-il. Incollable, elle peut citer de mémoire leur parenté, leur date de création, le nom de leur obtenteur, leur contrée d’origine: Chine ou Japon le plus souvent, mais aussi Amérique, Russie, Ukraine, Allemagne et, bien sûr, France.

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C’est d’ailleurs avec la très française ‘Madame de Verneville’, une délicieuse Paeonia lactiflora à la froufroutante corolle blanche ponctuée de petites taches rouge sang, achetée à Amsterdam en 2003 avec deux autres coquettes du même style, que l’aventure a commencé. Et quelle aventure!

Les belles trouvent d’abord place dans le potager du château de Sourches, élégante bâtisse du XVIIIe siècle située à 27 kilomètres du Mans, sur la commune de Saint-Symphorien, dont son mari vient de faire l’acquisition. «Je n’y connaissais rien mais j’étais totalement séduite par la beauté de ces fleurs dont je ne soupçonnais pas encore l’infinie variété de couleurs, de formes et de textures», confie cette antiquaire parisienne spécialisée dans les tabatières anciennes.

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Bénédicte de Foucaud au milieu de sa collection, au moment de la floraison des premières pivoines arbustives.

Les débuts sont approximatifs: les chevreuils dévorent consciencieusement les plantations, si bien que Bénédicte de Foucaud en est réduite à cultiver ‘Madame de Verneville’, ou ce qu’il en reste, ainsi que les pivoines qu’elle achète par la suite au gré de ses fantaisies, dans des pots. Mais «c’était comme mettre des animaux en cage…», déplore-t-elle. C’est alors qu’en 2009 l’idée lui vient d’installer dans les douves médiévales du château, édifié par Louis II du Bouchet de Sourches (1711-1788), grand prévôt de France, les 120 nouvelles variétés qu’elle vient de se procurer.

Dans ce grand espace enherbé de 14 000 m2, protégé du gibier et des intempéries par des grilles et d’épaisses murailles, elle peut enfin donner libre cours à sa nouvelle passion, dévore les catalogues, prend conseil auprès des obtenteurs français Rivière, Tricot et Pardo, parcourt le monde à la recherche d’exemplaires rares: «Plus je découvrais de nouveautés, plus je voulais en faire venir d’autres. Au bout d’un moment, j’ai voulu réunir toute cette grande et belle famille dans un conservatoire, une sorte d’arche de Noé des pivoines qui rende compte de ce fantastique et fragile trésor botanique», confie-t-elle.

Océan floral

‘Moonrise’ est un hydride de 
<i>Paeonia lactiflor</i>a et de 
<i>P. lobata</i>, obtenu par le sélectionneur américain Saunders en 1949.

Aujourd’hui, les douves accueillent pas moins de 2 326 variétés arbustives, herbacées (dont le feuillage disparaît en hiver) et «intersectionnelles», issues d’un croisement entre les deux premières. Et ce n’est pas fini! Cette année, 90 nouvelles pensionnaires sont venues enrichir cet éphémère océan floral que le public peut admirer jusqu’au 9 juin, tous les jours sauf le mercredi de 12 heures à 18 heures, avec possibilité de visites guidées sur réservation. Le tout moyennant la modique somme de 6 € par personne pour la première visite, 3 € pour la seconde, la troisième étant gratuite.

L’an passé, 4 700 visiteurs de la région mais aussi de la France entière et de l’étranger, que Bénédicte se fait fort de saluer personnellement, ont franchi la grille d’entrée. Soit quatre fois plus qu’en 2015, année de la première ouverture. Certains «pivoinophiles» viennent parfois de très loin: du Japon, bien sûr, mais aussi d’Australie et d’Argentine, comme ce groupe venu spécialement en France pour visiter Versailles, Bagatelle et… Sourches.

«La seule chose qui peut transformer le monde, c’est le beau», souligne Bénédicte en rappelant que, pendant la Seconde Guerre mondiale, une partie des tableaux du Louvre, notamment des Delacroix et des Hubert Robert, trouvèrent refuge dans les caves du château. «Au XXIe siècle, la grande histoire de Sourches, ce sera le conservatoire de la pivoine qui transmettra aux générations futures ce patrimoine exceptionnel aujourd’hui un peu en déshérence.»

Des peintres aquarellistes à l’œuvre

Variété ‘La France’ aquarellisée par Françoise Piquet-Vadon.

Après avoir fait l’objet d’une intense création variétale au XIXe et au XXe siècle sous l’impulsion d’hybrideurs de génie comme Gratwick, Saunders, Daphnis (auquel Bénédicte a consacré un petit opuscule en vente à la boutique du château) ou les Français Lemoine, Cornu et Rivière, la pivoine ne fait plus autant recette. À une époque où tout doit aller vite, sa lenteur est un handicap. Quinze à vingt ans sont en effet nécessaires pour créer une variété: 12 à 18 mois pour la germination des graines issues du croisement; 5 à 8 ans pour voir apparaître les premières fleurs et 8 à 10 ans pour «fixer» la nouvelle variété et obtenir son certificat d’obtention végétale. En outre, la période de floraison est très courte. Mais des Japonais y ont remédié en créant des pivoines remontantes. Très précisément des Paeonia suffricosa Kan qui refleurissent une seconde fois en novembre, à condition de les protéger correctement du froid sous une petite serre. Bénédicte, qui en abrite quatre pieds à Sourches, envisage une ouverture exceptionnelle dès cette année pour admirer le phénomène.

Jamais à court d’idée, elle a récemment entrepris de faire peindre par cinq aquarellistes de talent les plus belles pivoines du conservatoire. Des estampes numérotées des premières planches sont déjà en vente à la boutique du château: «Je voudrais faire pour la pivoine ce que Redouté fit pour les roses au XVIIIe siècle. Comme ça, si le conservatoire disparaît, il restera au moins l’image de ces fleurs merveilleuses.»


Restaurer la contrescarpe

Après 600 ans de bons et loyaux services, le mur de la contrescarpe du château de Sourches présente des signes de faiblesse, en particulier une fissure qui pourrait, à terme, menacer la sécurité des visiteurs du conservatoire de la pivoine. Au total 350 mètres linéaires de maçonnerie, sur 6 m de hauteur, sont à réparer pour un budget global estimé à 700.000 euros. Pour mener à bien ces travaux qui vont s’étaler sur plusieurs années, Jean et Bénédicte de Foucaud viennent de lancer, au nom de l’Association culturelle de Sourches, une campagne de financement participatif sur le site https://dartagnans.fr. L’objectif est de réunir 8 400 € pour terminer la première tranche de réhabilitation engagée sur la partie la plus endommagée de l’édifice.

Conservatoire de la pivoine, château de Sourches, Saint-Symphorien (Sarthe). Visites jusqu’au 9 juin, tous les jours sauf le mercredi de 12 h à 18h. Tél: +33 (0)6 07 44 52 71.

Source : http://www.lefigaro.fr/jardin/la-fantastique-collection-de-pivoines-du-chateau-de-sourches-20190509